Quand j'ai proposé à Ixio un entretien pour cette deuxième édition de l'Orbea Magazine, il n'a pas hésité, mais il a posé une condition : que l'interview ait lieu chez lui : « notre maison est notre Facebook. C'est l'endroit où nous nous réunissons avec nos amis ».
Ainsi, un froid vendredi de décembre nous sommes montés à Gabiria, au cœur du Guipuzcoa, pour déjeuner en compagnie de sa femme, Camino, et de sa fille, Irati, dans la ferme rénovée qu'est « Gurutzeta ».
Et nous avons commencé à discuter…
Commençons par le début. Raconte-nous comment tu as atterri dans le monde du cyclisme.
C'est curieux. Quand j'étais petit, ma sœur jumelle est tombée malade et ma mère passait des heures à l'hôpital à son chevet. Elle m'a envoyé chez mon cousin, à Urnieta. Ce cousin était cycliste professionnel et faisait beaucoup de cyclocross, et c'est là qu'est née ma passion pour le vélo. Depuis tout petit j'aimais vraiment beaucoup le cyclisme.
Je me souviens qu'à cet âge j'allais aux championnats d'Espagne de cyclocross, tenant un vélo qui était plus grand que moi, en accompagnant mon cousin.
Pour moi le vélo était tout. Mais nous sommes une famille de 8 enfants et il n'y avait pas d'argent. J'ai eu mon premier vélo très tard et ce n'était pas un vélo de coureur. C'était un Orbea vert de promenade qu'il fallait partager avec tous mes frères et sœurs. Je me souviens que je grimpais les cols avec ce vélo comme une flèche. J'en garde de jolis souvenirs.
Et ensuite, par un de ces hasards de la vie, mon beau-frère Jokin Mujika est arrivé, avec ma sœur jumelle, et il m'a encouragé à faire des courses en vélo. À cette époque, il a aussi ouvert un magasin de vélos et m'a proposé d'y travailler. Tout est allé très vite.
Le contact avec Orbea
À la suite de ce passage par le magasin de mon beau-frère dans ses dernières années de vélo, nous avons proposé à Orbea de parrainer Jokin pour faire des compétitions de VTT et de cyclocross. Et à partir de là nous avons noué une forte relation avec Orbea. De plus, auparavant nous ne vendions que des vélos Orbea au magasin.
De plus, le frère de Jokin, Jose Cruz – actuellement le responsable du magasin Jokin Mujika de Beasain- était mécanicien pour les équipes professionnelles d'Orbea, Caja Rural, Seat Orbea et tout ça. J'avais l'habitude de travailler avec eux à la ferme, je n'étais pas embauché mais je leur donnais un coup de main dans les tâches mécaniques. Jose Cruz a été mon référent et mon maître, je crois que je lui dois beaucoup…
Parle-moi de la ferme.
La ferme était l'atelier. C'est là qu'étaient préparés tous les vélos de l'équipe. C'était la ferme de Jose Cruz et Jokin, une espèce de quartier général des équipes Orbea. Et c'est là que j'étais tous les jours.
Comment te rappelles-tu cette époque où a surgi le VTT ?
Vers l'année 1992 ont commencé à apparaître les vélos et les courses de VTT. À ce moment-là c'était quelque chose de bizarre que presque personne ne connaissait et nous avons commencé avec mon beau-frère. À cette époque, en outre, les diffusions à la télévision ont fait leur apparition, il y a eu des courses en Euskadi, l'Open ETB –ETB, l'actuelle Eitb, est le groupe de radio-télévision public basque- qui retransmettait les dernières minutes des courses en direct et faisait de longs reportages et nous y sommes allés. Nous l'avons gagné, Orbea a aimé l'idée et c'est comme ça que nous avons commencé.
Comment s'est faite la transition de l'équipe de VTT à Orbea ?
J'en garde un souvenir très positif. J'ai atterri dans l'entreprise grâce aux gens que j'ai connus par le biais de l'équipe. Les gens d'Orbea m'inspiraient beaucoup de confiance et j'y ai fait d'excellents amis – C'est pour ça. Grâce aux gens qu'il y avait chez Orbea. Pour partager ce qu'ils m'inspiraient.
Il semble qu'aujourd'hui le cyclisme des années 80-90 soit perçu comme une époque un peu floue…
Moi je m'en souviens très bien. Il y avait beaucoup de passion pour le vélo. C'est toujours le cas aujourd'hui, mais à cette époque il y avait plus de connaisseurs, aujourd'hui je vois des gens qui vont au Tour, mais pas parce que ce sont des fans d'un coureur ou d'un autre. Beaucoup le suivent comme une mode, mais sans sentir le coureur. Avant, il y avait des suiveurs de coureurs, de Marino, de Jokin, de Gorospe… c'était incroyable. Une foule de gens déchaînés, chacun avec un coureur. Aujourd'hui il y a du monde aussi, puisque nous parlons de la marée orange… mais 90% des gens ne sont pas des passionnés de vélo et encore moins des usagers.
Julien Absalon a marqué un avant et un après, tant pour l'équipe de VTT qu'en ce qui concerne l'image d'Orbea sur ce segment. Si nous jetons un regard en arrière, son recrutement semble évident, mais si nous voyons quelle était la trajectoire de l'équipe de VTT jusqu'alors, disons qu'elle était plutôt modeste. Quels ont été les facteurs qui ont mené à cette décision ?
L'équipe que nous avions jusqu'à l'arrivée d'Absalon était une équipe modeste, une équipe bien menée mais modeste. L'incorporation d'Absalon lui a donné un professionnalisme fantastique et je crois qu'avec ça nous avons franchi un pas vers les sommets du VTT, et plus précisément du Cross Country. Cela a été curieux. Il y a eu des époques où nous recrutions tel ou tel coureur et certains coureurs ont commencé à se moquer de nous. Et chez Orbea nous avons dit : « Arrêtez, nous aussi nous savons bien faire les choses ». Et nous sommes allés chercher le meilleur. Le fait que ce coureur, qui était le meilleur à ce moment-là, nous connaisse nous a donné du courage. Nous ne l'avons pas recruté par une espèce de supériorité économique. Il est aussi venu parce qu'il nous connaissait et qu'il appréciait ce que nous avions fait au fil des ans, il nous suivait. C'est ce qu'il nous a dit, et je crois que c'était vrai.
Il avait une image de nous comme d'une équipe sérieuse. Il avait vu que nous avions grandi peu à peu et il nous voyait comme une équipe qui avait une base. Ce n'était pas une équipe qui monte à l'assaut du ciel une année et qui n'existe plus l'année suivante. Lui appréciait notre trajectoire.
Comment ont été les relations avec Julien pendant ces années ?
Elles ont été très bonnes, très faciles. Comme toujours il y a eu des hauts et des bas, mais ça a été très facile. Au niveau personnel, les relations aussi ont été très bonnes. Il est venu ici ! – en se référant à sa maison.
Absalon était le leader de l'équipe, mais toute l'équipe en général était un dream team
Oui. Mais comme partout. Quand on parle du Real Madrid tout le monde parle de Cristiano Ronaldo. Et dans ce cas, le leader c'était lui. Il y avait Jean Christophe Peraud, il y avait Iñaki Lejarreta, Ruben Ruzafa, qui étaient de très bons coureurs. Simplement ils étaient masqués par un leader qui était Absalon.
Jean-Christophe Peraud passe à la route et monte sur le podium de ce dernier Tour de France.
Je l'ai vécu avec beaucoup de plaisir. Je me souvenais de tout ce que nous avions vécu avant et en plus il me rappelait le Jean Christophe que j'avais connu. Ce n'est pas un coureur qui a changé. Pour moi c'est la même personne que j'ai connue, la même. Et je sentais un petit coup au cœur quand je le voyais… il est très simple, il vient d'une famille modeste. Sans manies ni rien. Très normal, vaillant… et il m'a laissé de bons souvenirs.
Iñaki (Lejarreta)
Eh bien, Iñaki… un garçon que je connaissais depuis les catégories juvéniles, depuis qu'il était cadet, très très normal, mais avec une grande pression. Il avait un prénom, Iñaki, il avait un nom et je crois que cela faisait beaucoup de pression pour lui. Il était trop professionnel pour moi. Pour lui, le vélo c'était toute sa vie et à chaque seconde il pensait au vélo. On se chamaillait beaucoup parce que je lui disais « Iñaki, en plus du vélo il y a d'autres choses. Il y a la famille, il y a les copains et tu n'arrêtes pas ». Je le lui disais souvent, il passait un mauvais moment, mais c'était vrai. Pour lui, il n'y avait rien d'autre que le vélo.
Et quand il allait devenir papa…
Nous avons eu des anecdotes curieuses. Nous en parlions… et en plus c'était un moment où Iñaki avait mûri au niveau sportif et il lui manquait un petit plus dont je pensais qu'il allait le trouver. Pour moi, ça a été très dur car je le fréquentais beaucoup. Comme il vivait tout près d'Orbea… et aujourd'hui pourtant j'ai de très mauvaises relations avec sa famille. Pour moi… je ne sais pas. Ce n'était pas comme un fils, mais il avait quelque chose… j'avais de l'affection pour Iñaki.
Le meilleur moment avec l'équipe, celui dont tu te souviens avec le plus de plaisir.
(Il prend son temps pour réfléchir)
Sûrement, il s'agit du mondial qu'Absalon a gagné en Écosse. Ensuite il a gagné l'Olympiade, ça a été aussi un joli moment, mais c'est que pour moi il semblait tout faire si facilement… mais ce qui m'a donné le plus de satisfaction ça a été le mondial d'Écosse.
C'était difficile, compliqué. Quand tu as la peur collée au corps… C'était une année où nous avions fait un très grand pari, nous avions recruté le meilleur. Mais, malgré cela, c'était très difficile.
Je me souviens d'une anecdote… À ce mondial. Nous étions à l'hôtel Joseba Arizaga, le défunt Rennie et moi. Nous étions si tendus le jour de la course, que Julien, qui logeait dans un autre hôtel avec la sélection française, est venu à 8 heures du matin en vélo à notre hôtel prendre un café. Et il nous disait « soyez tranquilles, je vais bien. Nous allons bien faire les choses ». Et tu vois, il a gagné…
Je crois que, comme il nous voyait un peu nerveux, il s'est présenté comme ça : « Je vais rouler un peu, prendre un café avec vous » habillé en cycliste… on a pris un café, il est allé rouler, il est rentré à son hôtel…
C'est ça en somme ce qui définit un grand champion, non ? Quelqu'un qui sait quand il va gagner.
Je me souviens qu'après on lui disait : « Eh bien, mec… » et il nous répondait « Si, si, je suis comme ça ». C'est curieux….
Joseba Arizaga.
Un camarade. Le salaud ! (rires). Un camarade avec lequel nous avons vécu de nombreuses batailles, nous avons fait de très belles choses, nous nous sommes beaucoup disputés, mais bon…
Vous avez dormi ensemble ?
Oui, souvent… très souvent (rires). Mais je ne rêve pas de lui, eh ? (rires redoublés). Moi, il m'a beaucoup aidé… Il y a des choses que nous partageons et d'autres non, mais Joseba et moi ce qui nous lie c'est la compétition, nous avons toujours été liés à la compétition et nous en avons été allaités. Comme tous les deux nous l'aimons… nos racines ont toujours été la compétition et cela nous unit.
Les projets actuels : Cofidis, Luna chix… Comment les vois-tu ?
Eh bien, je vois Cofidis comme une équipe qui s'accorde très bien à la philosophie Orbea. Une équipe modeste, austère, mais travailleuse. Je crois qu'elle va bien nous faire progresser. Ça me plaît, ça me plaît.
Les Luna sont une grande équipe. Peut-être qu'encore le cyclisme féminin n'est pas aussi valorisé que le masculin, et au niveau des médias nous devons accompagner cette diffusion, mettre de la pression. Malheureusement, Catherine Pendrell n'est pas aussi connue que Julien Absalon. Mais les choses évoluent et en tant que marque nous devons avoir cet engagement.
Et l'avenir ?
Je crois que la marque va faire un petit bond en avant au niveau global. Nous sommes une marque connue, mais je crois que nous allons encore gagner en réputation. Nous ferons bien quelques petites choses. Tu ne crois pas ?