24 August, 2017

Pedro Delgado : « Cette année, Los Machucos vont marquer la Vuelta »

Il est l'une des figures mythiques du cyclisme en Espagne : se victoires sont encore présentes dans l'imaginaire des supporters et, depuis plus de 20 ans, avec ses commentaires à la télévision, il nous transmet les émotions de la Vuelta d'Espagne ou du Tour de France. Nous parlons avec « Perico » de la présente édition de la Vuelta, de cyclisme et de l'un de ses projets les plus populaires : les « Pericopuertos ».

Votre parcours comprend 11 Vueltas d'Espagne comme coureur et plus de 20 ans en tant que commentateur. Quelle est la Vuelta qui vous est la plus chère ?

Pour moi, aucun doute : la première Vuelta d'Espagne que j'ai remportée en 1985 avec Orbea. Pour plusieurs raisons. D'une part, parce que l'année antérieure j'étais persuadé que j'aurais dû gagner la Vuelta (j'étais le plus fort ou, tout du moins, je pensais que j'étais le plus fort et je n'y suis pas parvenu), alors j'avais cette épine dans le pied. D'autre part, parce que cette course de 1985 a été difficile et compliquée à un point tel que j'avais décroché à la générale en accumulant un retard important sur Robert Millar. Alors est arrivée une étape de montagne dans ma région, ce qui m'a beaucoup motivé pour remporter une victoire d'étape. Ainsi, ce qui ne devait être qu'une lutte pour une victoire d'étape est devenu un triomphe inespéré au classement général. Cela prouve qu'il ne faut jamais perdre espoir, car on ne sait jamais où la victoire nous attend.

Cette course a été vraiment spéciale pour vous en tant que coureur, mais quelle est votre course préférée en tant que commentateur ? Sur le plan de l'émotion, des événements inattendus ou insolites.

La Vuelta remportée par Alberto Contador à la lutte avec Joaquím Rodríguez en 2012, à laquelle participait également Valverde. Surtout, parce que ce fut une Vuelta pendant laquelle chaque journée réservait une surprise et le classement changeait en permanence. Ce que j'ai aimé, c'est que cette course a donné lieu à de nombreuses « conversations de bar ». Cela veut dire que ce fut une course très appréciée par les supporters et qui a attiré beaucoup de néophytes… Un peu comme celle de 1985 qui a été très suivie et commentée. Lorsque vous voyez la passion avec laquelle les supporters vivent ce type de course, c'est un vrai plaisir de se consacrer au cyclisme.

“Les gens veulent du mouvement, du spectaculaire. Les gens ne se passionnent pas obligatoirement pour la victoire d'une équipe expliquée par la stratégie.”

Lorsque les bars en parlent et que toutes les conversations portent là-dessus, c'est bon signe, cela veut dire que la course est passionnante…

Oui, et en plus mon avis peut être plus technique, mais les gens ne se passionnent pas obligatoirement pour la victoire d'une équipe expliquée par la stratégie. Les gens veulent du mouvement, du spectaculaire… et pendant cette Vuelta d'Albert, il y en a eu beaucoup.

L'une de vos activités les plus connues, outre celle de commentateur pour la télévision espagnole, est celle d'analyste « in situ » des cols mythiques de la géographie espagnole. Quand et comment l'idée des Pericopuertos(« Pericocols » en français) vous est-elle venue ?

Je ne sais plus depuis combien d'années je fais ce que nous avons appelé les « Pericopuertos ». L'idée a surgi il y a quelques années avec la télévision espagnole. Elle consistait à présenter aux amateurs de cyclisme, d'une façon plus détendue, le déroulement du col, car le rythme frénétique de la compétition pendant la course ne permet souvent pas de se rendre compte de sa difficulté :  s'agissant de cyclistes professionnels (et tous très bons), le spectateur peut avoir l'impression qu'ils roulent sur du plat (rires). C'est pourquoi en les abordant moi-même d'une façon différente, avec un cycliste ou ex-cycliste invité, je peux montrer la difficulté de ces rampes, les dénivelés…

Cette année j'ai fait les Pericopuertos avec Alejandro Valverde, Luis Ángel Maté, Purito Rodriguez… Nous montons tous les deux, moi le souffle court, et eux, pas de problème, ils parlent et ils parlent (rires)… Ils m'attendent, j'essaie de suivre leur rythme, je suis crevé… et eux, comme si de rien n'était.

Parmi ceux que vous avez montés cette année, lequel a été le plus difficile ?

Cette année, Los Machucos, le seul que je ne connaissais pas. Il s'agit d'un type de col inédit que La Vuelta intègre souvent, avec des rampes très difficiles de 20-22 % qui se prolongent sur 500 mètres, voire 1 kilomètre, avec un tracé étroit et un revêtement irrégulier. C'est un petit col qui va marquer La Vuelta cette année, surtout parce qu'il vient après un long contre-la-montre et la plupart des coureurs seront vidés. Ces rampes « usent » énormément les jambes… Ce sont des étapes très rudes.

Vous avez fait les Pericopuertos avec un Orca doté de freins à disque : Que pensez-vous du vélo ? Comment s'est-il comporté ?

Chaque fois que je roule sur un modèle Orbea, mes sensations sont excellentes. Cela s'explique peut-être par le fait que ce fut mon premier vélo et que c'est avec lui que j'ai gagné ma première Vuelta. À dire vrai, je l'aime bien, car je pense qu'il est très sûr et très équilibré pendant les descentes. En ce qui concerne le frein à disque, que j'avais déjà essayé l'année dernière, j'ai constaté une amélioration au niveau du système de freinage dans la version 2017. La sensation au moment de freiner est très agréable et j'ai été vraiment satisfait.

Êtes-vous partisan des freins à disque ? Que croyez-vous qu'ils apportent ?

Lorsqu'on me pose la question, je réponds toujours que tout dépend si vous devez changer de vélo. Si c'est uniquement pour les freins, non. Si vous avez l'intention de changer de vélo et que vous êtes cyclotouriste, je pense que c'est une bonne chose. Surtout si vous vivez dans le nord ou dans une région très pluvieuse, car ils sont très efficaces en cas de pluie. C'est un grand avantage, car vous gagnez en sécurité et en freinage, et tout devient plus facile.

« Si vous avez l'intention de changer de vélo et que vous êtes cyclotouriste, je pense que c'est une bonne chose : vous gagnez en sécurité et en freinage, et tout devient plus facile. »

Parlons à présent de la présente édition de la Vuelta : Qui sont vos favoris ? Selon vous, quelles sont les étapes décisives pour remporter la Vuelta d'Espagne ?

En fin de compte, mes favoris sont ceux que tout le monde connaît, en commençant par Froome, le cycliste de référence, même si Nairo Quintana l'a surpassé l'année dernière. Évidemment, si c'est le cœur qui parle, je dirais Alberto Contador. C'est un coureur très important pour le cyclisme espagnol et international qui met un terme à sa carrière, en raison de sa philosophie du cyclisme, avec une lecture de la course excellente et une attaque de loin impossible contrer et sans réserves. J'aimerais qu'il gagne… mais d'autres coureurs sont également très motivés et peuvent s'imposer dans cette épreuve.

Nous avons parlé de Los Machucos… Avez-vous d'autres observations à faire ?

Réaliser des prédictions pour les grands tours est toujours un exercice risqué. L'année dernière, dans l'étape de Formigal, je pensais qu'elle allait se résumer à une lutte pour la victoire, et finalement, elle a été importante, d'autant plus que Contador était de la partie… En fin de compte, chaque jour est important, ainsi que les forces et l'état d'esprit des coureurs. J'aime beaucoup La Pandera, ainsi que l'étape d'Almeria… on verra.

Comment se déroule une journée type pour vous pendant la Vuelta ? Autant d'heures en direct… préparez-vous à l'avance vos commentaires ou est-ce de la pure improvisation ?

Cela fait beaucoup d'années à parler devant un micro. On connaît déjà beaucoup de personnes, le terrain, etc. Il ne vous reste plus qu'à vous mettre un peu à jour et à savoir ce qui se passe à ce moment-là. Pendant le petit-déjeuner, par exemple, on consulte des contacts pour savoir dans quelle forme sont les cyclistes, s'il y en a un qui est faible physiquement ou moralement… Tout ça vous donne des éléments à commenter ensuite. En plus, avec Internet, plus besoin d'emporter beaucoup de papiers, parce qu'on peut consulter rapidement des données et se rafraîchir la mémoire. J'ai encore avec moi de petits fichiers avec des détails sur les coureurs (lésions, déroulement de leur saison…), surtout des anecdotes ou des « commérages »… pour ainsi dire. Ce sont des informations qui vont au-delà des statistiques pures que l'on trouve actuellement sur de nombreuses pages Web.

Y a-t-il un col que vous n'avez pas encore franchi et que vous aimeriez aborder ?

Je ne suis pas non plus obsédé par la connaissance des cols. Ce que j'aime c'est faire du vélo et surtout connaître l'environnement, peu importe que le col soit plus ou moins long ou difficile. Au cours des années que j'ai passées dans ce milieu, ce qui m'a le plus intéressé a été de connaître la zone des Ancares, une région spectaculaire pour faire du vélo, sauvage et totalement inconnue pour moi jusqu'à l'arrivée de la Vueltaí.

« Les gens m'envoient beaucoup d'idées de cols en pensant que je peux les inclure dans le parcours de la Vuelta »

Le cyclisme est également un bon moyen pour connaître l'environnement et de nouvelles zones à explorer…

Exact. Beaucoup de gens m'envoient des messages : « Perico, il faut que tu voies ce col, et cet autre »… Les gens m'envoient des idées de cols en pendant que je peux les inclure dans le parcours de la Vuelta. Mais moi ce que je veux, c'est découvrir la région ! De plus, lorsque je fais du vélo, je n'attaque pas les cols : je cours sur des routes plates. Même si pendant ma carrière professionnelle je me suis distingué dans la montagne, aujourd'hui je dois me motiver pour monter un col. Mais les gens pensent « Tiens, un col pour que Perico le monte ». Et là on ne peut pas me prendre au piège (rires), on ne peut pas me séduire… je laisse ça pour les Pericopuertos (rires).

Ces apports sont précieux, car ils enrichissent les courses…

L'idée de Javier Guillem, directeur de la Vuelta d'Unipublic, est très positive pour le cyclisme. Grâce à lui et au cyclisme, nous découvrons des coins incroyables de la géographie espagnole. Les habitants les connaissent et les suggèrent, et cette volonté d'apporter des informations et des idées de parcours, ainsi que la disponibilité de Javier pour les écouter est une très bonne chose.